Actes du colloque "Création et gestion d'une Unité Touristique de Pleine Nature"®
 
THEME II « ACTIVITES DE PLEINE NATURE, RESPONSABILITE, COMMERCIALISATION »

"La responsabilité des maires en matière d'activités de pleine nature. L'état actuel du droit et de la jurisprudence" par Francis CARLE, magistrat
"L'approche transversale des activités de pleine nature et ses conséquences sur la mise en marché de produits de loisirs sportifs" par Dominique GIARD, Service d'étude et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM)
"La réglementation locale de l’escalade et du canyoning prise par les maires et les préfets au titre de leurs pouvoirs de police générale" par Arnaud PINGUET, secrétaire général du Conseil Supérieur des Sports de Montagne
"Les problèmes de l'élu, gestionnaire de site naturel face aux activités de pleine nature » par Jean-Pierre VERDIER, adjoint au Maire, délégué aux affaires sportives de la mairie de Chamonix .
j Questions et commentaires
Premier intervenant (ne se présente pas)
Représentant de la Ligue Protectrice des Oiseaux (LPO)
Rémy NOEL Parc national des Cévennes et président de l'Association Horizons Parcs Nationaux
Charles DENICOURT, président de l'Agence Méditerranéenne de l'Environnement
Gilles PANET, Comité Régional du Tourisme (CRT) du Languedoc-Roussillon
Ginette GARRIGUE membre du SIVU, propriétaire d'une partie du terrain dans les Gorges du Chassezac
Michel ROCHE, Comité Départemental de la Randonnée Pédestre (CDRP) de Lozère

Arnaud PINGUET, secrétaire Général du Conseil Supérieur des Sports de Montagne, la réglementation locale de l’escalade et du canyoning prise par les maires et les préfets au titre de leurs pouvoirs de police générale


Introduction

La réglementation des activités sportives est communément perçue comme une réglementation nationale ; dans les faits, s’agissant des activités de pleine nature, notamment de celles prises en compte par ce colloque, l’escalade et le canyoning, cette réglementation est également (et surtout) le fait des maires et des préfets au titre de leurs pouvoirs de police générale.

Rappelons au préalable que la police administrative générale est exercée de manière indifférenciée à l’égard de n’importe quel genre d’activités des particuliers, qu’il s’agisse d’activités sportives ou d’activités relevant d’un autre champ social.

I Les principes généraux

Dans notre droit administratif, les maires et les préfets disposent d’un pouvoir de police générale qui leur donne compétence pour prendre par voie d’arrêté les mesures de police appropriées en matière d’ordre public et notamment de sécurité publique, la sécurité s’entendant de la prévention des accidents et de l’organisation des secours.

Le fondement légal des pouvoirs de police générale des maires et des préfets

Le Code général des collectivités territoriales (C.G.C.T.) 1 (cliquez sur les numéros bleus pour voir les notes en fin d’article) définit les compétences respectives des maires et des préfets.

S’agissant des maires, le C.G.C.T. dispose :

Art. L.2211-1 : « Le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique ».

Art. L2212-1 : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ».

Art. L2212-2 : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la tranquillité publiques.Elle comprend notamment : (…) 5 ? Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux… tels que…les avalanches…, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure ».

S’agissant des préfets, le C.G.C.T. prévoit :

Art. L2215-1 : « La police municipale est assurée par le maire, toutefois :

1 ? Le représentant de l’Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l’Etat dans le département à l’égard d’une seule commune qu’après une mise en demeure au maire restée sans résultat ; (…)

3 ? Le représentant de l’Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d’application excède le territoire d’une commune.

Le C.G.C.T. s’inscrit dans la continuité des codes précédents :

la police générale intègre la police de la sécurité ;la police de la sécurité demeure essentiellement une police municipale, y compris lorsqu’elle est exercée par le préfet (hypothèse de la substitution susvisée).

Le fait que les pouvoirs du préfet soient définis dans la deuxième partie du code, partie consacrée à la commune, atteste que le législateur en reste à une logique « communo-centriste 2, à laquelle les juridictions administratives demeurent très attachées.

Il semble toutefois se dessiner une évolution quant aux pouvoirs des préfets. En effet, l’article 2215-13 ? va au-delà de la simple substitution du préfet au maire défaillant en tant qu’il confère, du moins dans la lettre, au préfet des compétences exclusives au cas où le champ d’application des mesures de sécurité publique excède le territoire d’une commune.

L’on glisse à pas feutrés vers une gestion pluri acteurs de la « sécurité » comme le laisse entrevoir la formulation de l’article L.2211-1 non contenue dans le précédent code des communes : le maire « concourt » à l’exercice des missions de sécurité publique, ce qui sous-tend que d’autres autorités publiques sont associées à l’exercice des dites missions.

L’évolution observée participe d’un mouvement plus général qui tend à déplacer le pouvoir de décision et la coordination des moyens à un niveau supra-communal lorsque la sécurité n’est plus une affaire strictement locale et que son traitement doit mobiliser l’échelon supérieur. Ainsi en est-il de l’organisation et de la distribution des secours dans le cadre des « plans d’urgence », pilotés par le préfet.

La nature des dangers qui appellent l’édiction d’une mesure de police et les conditions auxquelles doivent répondre les mesures de police.

Soucieuse d’un juste équilibre entre liberté et sécurité publique, la jurisprudence administrative a précisé les contours de l’obligation de sécurité dont sont redevables les autorités de police, d’une part en définissant la nature des dangers qui appellent l’édiction d’une mesure de police, d’autre part en déterminant les conditions auxquelles doivent répondre les mesures de police.

A/ La nature des dangers qui appellent l’édiction d’une mesure de police

La loi ne fait pas obligation au maire et au préfet d’éradiquer, matériellement et / ou par voie d’arrêté tout type de risque ; la tâche serait impossible et probablement fatale à l’exercice des libertés publiques et individuelles. Selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, l’autorité de police doit prévenir les seuls « dangers qui excèdent ceux contre lesquels les personnes doivent, par leur prudence, se prémunir »3. Il s’agit donc des dangers présentant un caractère anormal 4, exceptionnel 5, ces notions étant il est vrai contingentes.

La compétence ainsi définie n’est pas un pouvoir facultatif dont l’autorité investie userait de matière discrétionnaire ou à sa convenance. Comme le relève François SERVOIN 6, « l’exercice du pouvoir de police est d’ordre public, il n’est pas négociable ni transférable ».

A défaut de prendre des mesures appropriées et lorsqu’il résulte de cette carence un dommage aux particuliers, l’autorité de police engagera la responsabilité de la personne publique. Il en sera de même, du reste, dans l’hypothèse d’une défaillance affectant l’organisation des secours.

Deux points doivent être ajoutés : dans le domaine de la responsabilité des services de police, le Conseil d’Etat a abandonné l’exigence d’une faute lourde 7. Une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’administration 8. Maires et préfets pourraient même voir leur responsabilité pénale engagée pour homicide involontaire ou coups et blessures involontaires 9 au cas où ils n’auraient pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de leurs missions ou de leurs fonctions, de leurs compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont ils disposaient 10.

B/ Les conditions auxquelles doivent répondre les mesures de police

La mesure de police est souvent constituée d’une interdiction. La jurisprudence administrative pose le principe selon lequel l’interdiction ne peut être ni générale, ni absolue, sauf situation très exceptionnelle11. Le juge administratif exige que l’interdiction soit limitée dans le temps et dans l’espace. Cette exigence découle des caractéristiques intrinsèques de la mesure de police qui doit être nécessaire, adaptée et proportionnée au risque dont il convient de protéger l’usager.

A défaut de répondre à ces conditions, la mesure de police serait illégale et pourrait être annulée par le juge administratif, dans le cadre du contrôle juridictionnel maximum qu’il exerce sur ce type d’acte administratif.

La sanction pénale de la violation d’un arrêté de police : en règle générale, la violation d’un arrêté municipal ou préfectoral constitue une simple contravention de la première classe réprimée d’une amende de 250 francs (art. 610 -5 du code pénal). Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en mars 1994, le manquement au règlement de police pris au titre de la sécurité publique peut dans certaines circonstances entraîner des poursuites pénales pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui 12, délit réprimé par l’article 223-1 du code pénal 13. S’agissant des sports de montagne, plusieurs condamnations ont été prononcées sur ce chef au cours des trois dernières années. Je renvoie dans ce domaine au propos de Monsieur CARLE. De surcroît, il faut rappeler que le manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements constitue une circonstance aggravante pour les atteintes involontaires à la vie (homicide involontaire) ou à l’intégrité des personnes (coups et blessures involontaires) 14.

II Les réglementations des maires et des préfets concernant l’escalade et le canyoning ; cas pratiques

Plusieurs constats liminaires s’imposent :

ces activités qui ont en commun la verticalité (ou semi-verticalité) et l’usage des techniques de cordes sont différemment prises en compte par la réglementation. L’escalade est dans l’ensemble peu réglementée à l’inverse du canyoning qui l’est plus systématiquement. Cette différence de traitement procède de l’objet même des arrêtés, axé tantôt sur la seule prévention des accidents, tantôt sur l’anticipation ou la résolution des conflits d’usage, tantôt sur les deux, mais de manière nuancée.

Même dans l’hypothèse où l’arrêté est pris pour des raisons de sécurité publique, la disparité de traitement découle de facteurs qui ne sont pas nécessairement tirés de l’accidentologie comme le montrent infra les statistiques recueillies par le système national d’observation de la sécurité en montagne 15. Ces facteurs sont plutôt d’ordre culturel et sociologique : comme l’alpinisme, l’escalade intéresse un public à priori sportif, expérimenté, mû par une logique de perfectionnement pour ne pas dire de performance, alors que le canyoning est présenté comme une activité ludique, hybride, pratiquée par un public non spécialiste, qui entend consommer un loisir dans l’instant, sans apprentissage préalable.

Le cas de la randonnée pédestre est différent. Peu « instrumentalisée » et d’une accessibilité technique immédiate, cette activité est posée comme non dangereuse.

Activités

Décédés

Blessés

Densité de la réglementation

escalade

3

62

Faible

Via ferrata

2

3

Forte

Canyoning

6

48

Forte

Alpinisme

42

204

Très rare

Randonnée pédestre

57

765

rarissime

 

La réglementation de l’escalade est municipale, aucun préfet à notre connaissance n’étant intervenu dans ce domaine au titre de ses pouvoirs de police générale. A contrario, le canyoning mixe des réglementations préfectorales et municipales ; la plupart des départements sièges de l’activité (Alpes Maritimes, Alpes de Haute Provence, Pyrénées Orientales) sont dotés d’arrêtés préfectoraux. La différence observée procède pour une part importante de la spatialité des activités. L’escalade, au sens de site sportif d’escalade, renvoie à des sites géographiquement limités qui maintiennent l’activité dans un cadre communal alors que le canyon, comme tout cours d’eau, intéresse un territoire supra-communal.

Il faut enfin souligner que les arrêtés ne traitent jamais des questions d’organisation de secours, lesquelles relèvent de dispositifs transversaux autonomes 16.

La réglementation de l’escalade

Comme il vient d’être précisé, il s’agit d’une réglementation municipale. L’activité politique de conventionnement conduite par la F.F.M.E.17 avec les communes et les particuliers, propriétaires des falaises, a manifestement contribué à contenir l’essor de cette dernière, voire l’a fait régresser. Les interdictions municipales semblent moins nombreuses à ce jour qu’elles ne l’étaient à la charnière des années 1970 - 1980.

L’analyse de cette réglementation met en évidence deux catégories d’arrêtés :

Les arrêtés d’interdiction

Deux exemples

  • L’arrêté du maire de VARCES ALLIERES et RISSET (Département 38) du 1er juin 1985 interdisant la pratique de l’escalade (mesure pérenne, mais limitée dans l’espace) :
    « Vu le Code des Communes, Considérant les risques réels encourus par les personnes grimpant sur la montagne du Grand Rochefort du fait de la mauvaise qualité du rocher, Considérant les nombreux accidents survenus sur le site et la fréquentation des falaises par les alpinistes de la région,
    Arrête :
    Art. I : l’escalade est interdite sur toute la montagne de Rochefort à compter du 1er juin 1985,
    Art. II : la signalisation réglementaire sera mise en place par les services communaux pour en informer les usagers (…) ».

  • L’arrêté du maire de LE BIOT du 24 août 1988 :
    « Vu les articles L.131 et suivants du code des communes,18
    Vu le rapport du SRTM du 19 août 1988,
    Arrête :
    Art. I : Suite à l’accident survenu le 16 août 1988 en fin d’après-midi à proximité
    de la falaise dit « de GYS », où trois enfants ont été victimes de chutes de pierres qui a fait un mort et deux blessés. Après étude géologique du SRTM, la partie supérieure de la falaise de GYS est composée de lapiazée par suite de l’action chimique des eaux météoriques, de nombreuses petites vires boisées d’arbustes où une faune de chevreuils et chamois se réfugient. Pour éviter tout nouvel accident dans ce secteur, la commune du Biot représentée par son maire (…) décide d’interdire toute circulation et toute pratique d’escalade dans ce secteur, bien que l’escalade ne soit pas à l’origine de l’accident ; les enfants étaient assis lorsqu’ils ont été atteints par la chute de pierres.
    Art. II : Deux panneaux de l’arrêté seront mis en place dans le secteur considéré dangereux ».

Les arrêtés organisant la pratique au plan sécuritaire

Comme l’illustre celui de la commune de L’ARGENTIERE LA BESSEE du 10 août 1994 :

Vu le Code des Communes,
Vu le Codé Pénal et notamment son article R 26-15,19
Considérant que les chutes de pierres ont été constatées sur et à proximité du site, Considérant qu’il y a lieu d’assurer la sécurité des grimpeurs sur la falaise principale du FOURNEL,
Arrête :
Art. I : A compter du 9 août 1994, le port du casque de montagne est obligatoire pour la fréquentation du site d’escalade du FOURNEL. »

A la charnière des années 1970 / 1980, compte tenu de la massification de l’activité et de l’indiscipline que manifestaient ses adeptes, certaines interdictions (BUOUX notamment) ont pu être prises au titre du bon ordre pour anticiper ou résoudre des conflits d’usage (conflits riverains -agriculteurs-grimpeurs). L’activité attirant un jeune public de culture citadine, galvanisé par le talent de Patrick EDLINGER, certains maires ont eu à cœur de préciser la règle du jeu à l’instar de celui de St EGREVE dans un arrêté du 18 mars 1986 (aujourd’hui abrogé) :

Vu le Code des Communes, article L.131-1 et L 131-2 et suivants,
Vu l’article R.26-15 du Code Pénal,
Vu la délibération du Conseil Municipal en date du 9 mai 1985 autorisant la location à la commune par bail emphytéotique de 18 ans du Rocher de ROCHEPLEINE appartenant à M.G.,
Considérant le bail emphytéotique signé avec M.G et l’utilisation déjà ancienne du Rocher de ROCHEPLEINE comme base d’initiation et d’entraînement à la pratique de l’escalade,
Considérant que les abords immédiats du Rocher ont été aménagés pour améliorer l’accueil du public, il convenait de réglementer l’accès à ce secteur.
Arrête :
Art. I : le Rocher d’escalade est ouvert au public à l’intérieur du périmètre délimité sur les lieux par des panneaux. Ce secteur de la commune a été aménagé en vue de faciliter la pratique de l'escalade.
Art.2 : Les promeneurs, randonneurs et escaladeurs qui s'aventurent en dehors des routes et chemins régulièrement entretenus, sont informés qu'ils se mettent de ce fait en danger d'accident pouvant être mortel du fait d'éboulements, chutes de pierres spontanées ou causées par la présence d'autres personnes, chutes par pertes d'équilibre ou glissade ou effondrement du terrain sous leur poids.
Art.3 - Les escaladeurs sont notamment informés que les pitons, sangles, câbles et autres équipements qu'ils sont susceptibles de rencontrer dans les falaises n'offrent aucune garantie, qu'ils aient été simplement abandonnés dans les falaises par des cordées précédentes ou qu'ils aient été installés par des bénévoles anonymes et dont la compétence technique est invérifiable.
Art. 4 : La sécurité des personnes qui s'aventurent sur le site leur incombe en totalité, ainsi que l'estimation des risques inhérents à chaque itinéraire.
Art. 5 : L'accès aux voies d'escalade est interdit aux personnes ne possédant pas, soit le matériel, soit l'entraînement, soit l'encadrement, leur permettant de parcourir les voies dans des conditions d'absolue sécurité.
Art. 6 : Les contraventions au présent arrêté seront constatées par des procès-verbaux et poursuivies conformément aux lois. Art.7 : Le Secrétaire Général de la Commune, le Commandant de la Brigade de Gendarmerie, les Gardes Municipaux et les représentants de la Force Publique sont chargés, chacun en ce qui concerne, de l'exécution du présent arrêté, qui sera affiché en Mairie et aux extrémités Ouest et Est du Rocher d'Escalade.

La réglementation du canyonisme

La descente de canyon figure parmi les activités de pleine nature les plus réglementées au plan local.

Cette réglementation a plusieurs particularités 20 :

  • Elle émane tout autant des préfets que des maires, de manière alternative, plus rarement cumulative. S'il existe quelques cas de concours de police générale, plus souvent les arrêtés préfectoraux ont évincé les arrêtés municipaux préexistants.
  • Elle est animée assurément par des préoccupations de sécurité publique, mais également (et surtout) par des préoccupations de bon ordre et de tranquillité publique (conflits d'usage entre pêcheurs et pratiquants, cohabitation difficile entre propriétaires riverains et sportifs), ainsi que par des préoccupations environnementalistes.
  • Les régimes institués sont de ce fait disparates tant dans leur but que dans leur objet et leurs moyens, croisant au fil des dispositions, du moins pour les arrêtés préfectoraux, police générale et polices spéciales. Remarquons incidemment que le contrôle de légalité ne se trouvera pas facilité par le fait qu'il est souvent difficile d'identifier de quel fondement procède telle ou telle mesure.
  • Les dispositions de portée juridique, contraignantes et répressives, jouxtent des dispositions infra-juridiques qui découlent d'une démarche incitative et participative. L'arrêté de police tend à devenir un vade-mecum de l'activité.

L'analyse comparative des arrêtés préfectoraux et municipaux fait apparaître deux catégories de mesures de police générale, des mesures d'interdiction d'une part (A), des mesures normant la pratique sportive d'autre part (B). Enfin une troisième catégorie de mesures peut être identifiée dans le prolongement du constat précédemment fait ; il s'agit de mesures infra-juridiques d'incitation (C).

A/ Les mesures d'interdiction

Elles ont pour objet : soit de prévenir les accidents, l'interdiction étant alors pérenne ;

  • Pour illustration, l'arrêté du maire de la commune de St Vincent de Mercuze (département 38) du 8 septembre 1999

« Vu les articles L.131-1, L.131-2 et L.131-3 du Code des communes, portant sur les pouvoirs du maire,
Vu la notoriété de plus en plus grande du ruisseau de l'Alloix pour la pratique du canyoning et le nombre de plus en plus important de pratiquants, à titre individuel ou dans le cadre d'expéditions organisées,
Vu le caractère dangereux de ce sport,
Vu les caractéristiques du ruisseau qui est dangereux (risques, entre autre, de débordements) et dont il est impossible d'assurer entièrement les conditions de sécurité,
Vu la présence d'équipements spéciaux installés par des seuls privés, sans avis de la commune et des organismes officiels de sécurité,
Vu l'absence de réglementation précise concernant les responsabilités engagées par chacun dans la pratique de cette activité, Arrête :
Art.1 : La descente en canyoning dans le ruisseau de l'Alloix n'est pas autorisée sur le territoire de la commune de St Vincent de Mercuze et la commune décline toute responsabilité en cas d'accident.
Art. 2 : Le Maire et les services municipaux sont chargés chacun en ce qui les concerne, de l'exécution du présent arrêté.
»

  • soit d'organiser un usage alterné du site en vue de prévenir de sévères conflits entre pêcheurs et canyonistes.

Tel est manifestement l'objectif poursuivi par les arrêtés préfectoraux des Alpes de Haute-Provence du 21 juin 1994, des Pyrénées-Orientales (Llech) du 6 juillet 1995 et des Alpes Maritimes du 30 avril 1996. Ces arrêtés offrent une illustration de l'hétérogénéité des mesures du fait de leur ajustement aux contraintes locales.

Canyon

Créneaux de pratique

Année

Journée

Angouire (04)

1er mai / 30 novembre

de 10 h à 18 h

Riou (04)

 

de 10 h à 18 h

Valboyère (04)

1er juillet / 30 septembre

de 10 h à 18 h

Les Enfers (04)

15 juin / 30 novembre

de 10 h à 18 h

Llech (66)

de mars à septembre

octobre / novembre

entrée de 10 h à 16 h

entrée de 10 h à 15 h

 

Clue d’Amen (06)

15 juin / 31 octobre

entre 9 h et 17 h

Ullion (06)

1er avril / 31 octobre

lundi, mercredi, vendredi, dimanche

La Roudoule (06)

1er avril / 31 octobre

Clue de St Auban (06)

1er avril / 31 octobre

entre 9 h et 17 h

 

B/ Les mesures normant la pratique

Elles traduisent une propension des arrêtés de police à assimiler des règles qui, par nature, appartiennent à l'ordre sportif. Le mouvement semble général et concerne de nombreuses activités de pleine nature, dont le parapente et les activités d'eau vive. Les usages et les règles de l'art basculent ainsi «massivement» dans l'ordre juridique.

Certains arrêtés se contentent de rappeler les règles génériques de la pratique de l'activité à l'instar de celui du préfet des Alpes de Haute Provence du 21 juin 1994 portant réglementation de la descente de canyons :

« (...) Art. 4 : La pratique de la descente de canyons est subordonnée au respect des conditions suivantes :
Prescriptions relatives à la sécurité
Les pratiquants doivent :
- se renseigner auprès des services compétents énumérés dans la plaquette prévue à l'article 5 du présent arrêté,
- détenir un équipement adapté,
- respecter les consignes de progression de sécurité,
- faire appel à un encadrement diplômé.»

En revanche, l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales du 20 juin 1995 réglementant la pratique de la descente des gorges et cascades dresse un catalogue quasi exhaustif des règles de conduite, intégrant l'équipement individuel et collectif des pratiquants ainsi que des normes d'encadrement :

«(...) Art. 1er: La pratique de la descente des gorges et cascades, sous réserve des droits des tiers, est subordonnée au respect des conditions suivantes :
Art. 2: Les pratiquants doivent :
- effectuer le parcours à deux personnes minimum (sauf professionnels et secours) ;
- savoir nager (dans les canyons aquatiques) ;
- ne pas présenter de contre-indication médicale à la pratique des activités physiques et sportives de pleine nature ;
- se renseigner sur le parcours et ses échappatoires éventuelles, les services de secours locaux ;
- s'informer sur le débit d'eau, la météo ;
- prévenir une tierce personne de l'itinéraire choisi et de l'heure probable de retour.
Art. 3 : Chaque pratiquant est tenu de porter l'équipement ci-après :
- vêtements isothermiques adaptés
- casque avec jugulaire ;
- chaussures polyvalentes nage/marche
- cuissard et longe (s) ;
- mousqueton à vis et descendeur.
Chaque groupe doit être muni de :
- soit deux cordes de longueur supérieure à la plus grande verticale (raboutage) ;
- soit d'une corde de longueur supérieure au double de la plus grande verticale (corde à double) et d'une corde de secours d'une longueur supérieure à la plus grande verticale ;
- un gilet de sauvetage lorsque le niveau de l'eau l'exige ;
- le matériel de sécurité suivant : une trousse de secours placée dans un bidon étanche et comprenant au moins : pompe à venin, crème anti-inflammatoire, bande élastique, couverture de survie, comprimés énergétiques, lunettes de plongée....
- matériel de remontée sur corde ;
- matériel d'amarrage et de rééquipement simple ;
- des mousquetons à vis et descendeurs ;
- un sac de portage flottant.
L'ensemble du matériel individuel, collectif et de sécurité devra être conforme aux normes en vigueur.
Art. 4 : Groupes accompagnés Chaque groupe est constitué de dix personnes maximum pour un encadrant diplômé, aidé par un auxiliaire (personne majeure et expérimentée pour la pratique) lorsqu'il s'agit d'un groupe de mineurs,
Art. 5: Pour progresser en sécurité, les pratiquants devront respecter les consignes et recommandations rappelées en annexe du présent arrêté. »

C/ Les dispositions infra-juridiques

Par leur densité et leur fréquence dans les arrêtés de police, ces dernières caractérisent l'une des évolutions des pratiques administratives des années 1990. L'acte unilatéral actionne simultanément le commandement et la recommandation dans un but de prévention, celle-ci allant assurément au delà de l'obligation réductrice de faire ou de ne pas faire. La réglementation se veut, donc se fait éducatrice...

Cette tendance est illustrée par l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 22 décembre 1998, dont les articles 6 et 7 reprennent à l'identique les recommandations des fédérations sportives concernées 21, initialement publiées dans l'instruction n°98-104 J.S. du 22 juin 1998.

CONCLUSION

La réglementation locale de l'escalade et du canyoning est manifestement une réglementation "de terrain". Elle se veut pragmatique, efficace, directe et parfois percutante dans un contexte de médiatisation surfaite des accidents de montagne et des poursuites judiciaires qui leur sont parfois consécutives. Ce dernier constat pourrait bien expliquer sa densification sur les deux dernières décennies, outre le souci quasi universel d'une sécurisation optimale, «externalisée» des activités sociales à laquelle n'échappent pas les sports de pleine nature.

L'évolution n'est toutefois pas anodine et la décennie à venir permettra de juger de l'effective pérennisation du principe cardinal selon lequel, dans notre société, Monsieur CARLE le rappelait, la liberté est toujours la règle, la restriction de police l'exception. La plasticité de la réglementation, son hybridation vers des procédés moins contraignants combinant prescription et incitation, son élaboration toujours plus négociée sont, il est vrai, de nature à modifier notre perception d'une mutation d'ores et déjà en cours !

L'expérimentation (exemplaire) conduite dans les Gorges du Chassezac à travers le concept d'Unité Touristique de Pleine Nature confirme opportunément deux choses :

  • la sécurité de la pratique peut s'organiser dans un cadre extra-réglementaire faisant une large place au processus contractuel. La réglementation n'est donc pas un point de passage obligé ; elle doit être l'ultime recours.
  • la qualité des aménagements créés, la pertinence du dispositif d'information fondé sur un efficace panneautage et des topo-guides bien conçus sont assurément d'excellents vecteurs de prévention des accidents.

Les ministères ainsi que les institutionnels de la montagne le savent bien, privilégiant avec constance les voies de l'information (campagnes nationales de prévention), de l'éducation et de la formation. La citoyenneté sportive est à ce prix.

 

 

Notes..
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  • 1 Initialement Code d'administration communale, puis Code des communes.
  • 2 François SERVOIN, « La commune de montagne »,collectivités territoriales, ECONOMICA, 1993, p.255 et s.
  • 3 Conseil d’Etat 11 juillet 1973, Demoiselle ROQUES / LEBON p.914.
  • 4 Voir « La responsabilité des communes et des autres collectivités publiques en matière de ski : les 20 ans de l'arrêt LAFONT», Georges-Daniel MARILLIA, La semaine juridique, Editions .G. n°17-18, 3285.
  • 5 Conseil d’Etat 12 mai 1978, Consorts LESIGNE /LEBON p.725
  • 6 « La commune de montagne » op.citée.
  • 7 Conseil d’Etat 28 avril 1967, LAFONT p.182.
  • 8 Gustave PEISER, Droit administratif (Actes administratifs, organisation administrative, police, service public, responsabilité, contentieux administratif), Mémentos Dalloz, 18e édition p.157.
  • 9 CA Grenoble, Ministère public c/S, 5 août 1992, JCP éditions G 1992, II, 21959, note SARRAZ-BOURNET
  • 10 art.121-3 du code pénal.
  • 11 Conseil d’Etat 28 novembre 1980, Commune d'Ardres, AJDA, 1981, p.95.
  • 12 Cassation, criminalité, 9 mars 1999, Dalloz, 2000, p.81 et s.
  • 13 « Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende. »
  • 14 Pour un exposé plus complet sur ce thème, Voir : « Cadre juridique des arrêtés de police municipale concernant les sports d'hiver- guide méthodologique », Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du Ministère de l'intérieur, Cahiers du CSSM n°13/1999, Conseil supérieur des sports de montagne, p.51-82.
  • 15 Rattachée au Conseil supérieur des sports de montagne, cette structure est pilotée par la Direction des sports et la Direction de la défense et de la sécurité civiles ; elle est basée dans les locaux de l'Ecole nationale de ski et d'alpinisme à Chamonix.
  • 16 Voir « Le secours en montagne », Françoise DUPONT-MARILLIA, Jean Pierre JARNEVIC, Cahiers du CSSM n°14/avril 2000, Conseil supérieur des sports de montagne, p.61-71.
  • 17 Près de 400 conventions ont été passées à ce jour par la F.F.M.E.
  • 18 Aujourd'hui art. L2212-2 du Code général des collectivités territoriales.
  • 19 Désormais art. R 610-5 du Code pénal.
  • 20 Eric MEYNET, Etude comparée de la réglementation locale du canyoning dans le temps et dans l'espace ; approche socio juridique, Cahiers du CSSM n°7/1997, Conseil supérieur des sports de montagne, p.29 à 65.
  • 21 Montagne/Escalade (F.F.M.E.),Canoë-kayak (F.F.C.K.), Spéléologie (F.F.S.). Image retour au texte, notes de bas de page.

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