Actes du colloque "Création et gestion d'une Unité Touristique de Pleine Nature"® |
THEME II « ACTIVITES DE PLEINE NATURE, RESPONSABILITE, COMMERCIALISATION » |
Arnaud PINGUET, secrétaire Général du Conseil Supérieur des Sports de Montagne, la réglementation locale de l’escalade et du canyoning prise par les maires et les préfets au titre de leurs pouvoirs de police générale | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
La réglementation des activités sportives est communément perçue comme une réglementation nationale ; dans les faits, s’agissant des activités de pleine nature, notamment de celles prises en compte par ce colloque, l’escalade et le canyoning, cette réglementation est également (et surtout) le fait des maires et des préfets au titre de leurs pouvoirs de police générale. Rappelons au préalable que la police administrative générale est exercée de manière indifférenciée à l’égard de n’importe quel genre d’activités des particuliers, qu’il s’agisse d’activités sportives ou d’activités relevant d’un autre champ social. I Les principes généraux Dans notre droit administratif, les maires et les préfets disposent d’un pouvoir de police générale qui leur donne compétence pour prendre par voie d’arrêté les mesures de police appropriées en matière d’ordre public et notamment de sécurité publique, la sécurité s’entendant de la prévention des accidents et de l’organisation des secours. Le fondement légal des pouvoirs de police générale des maires et des préfets Le Code général des collectivités territoriales (C.G.C.T.) 1 (cliquez sur les numéros bleus pour voir les notes en fin d’article) définit les compétences respectives des maires et des préfets. S’agissant des maires, le C.G.C.T. dispose : Art. L.2211-1 : « Le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique ». Art. L2212-1 : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ». Art. L2212-2 : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la tranquillité publiques.Elle comprend notamment : (…) 5 ? Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux… tels que…les avalanches…, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure ». S’agissant des préfets, le C.G.C.T. prévoit : Art. L2215-1 : « La police municipale est assurée par le maire, toutefois : 1 ? Le représentant de l’Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l’Etat dans le département à l’égard d’une seule commune qu’après une mise en demeure au maire restée sans résultat ; (…) 3 ? Le représentant de l’Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d’application excède le territoire d’une commune. Le C.G.C.T. s’inscrit dans la continuité des codes précédents : la police générale intègre la police de la sécurité ;la police de la sécurité demeure essentiellement une police municipale, y compris lorsqu’elle est exercée par le préfet (hypothèse de la substitution susvisée). Le fait que les pouvoirs du préfet soient définis dans la deuxième partie du code, partie consacrée à la commune, atteste que le législateur en reste à une logique « communo-centriste 2, à laquelle les juridictions administratives demeurent très attachées. Il semble toutefois se dessiner une évolution quant aux pouvoirs des préfets. En effet, l’article 2215-13 ? va au-delà de la simple substitution du préfet au maire défaillant en tant qu’il confère, du moins dans la lettre, au préfet des compétences exclusives au cas où le champ d’application des mesures de sécurité publique excède le territoire d’une commune. L’on glisse à pas feutrés vers une gestion pluri acteurs de la « sécurité » comme le laisse entrevoir la formulation de l’article L.2211-1 non contenue dans le précédent code des communes : le maire « concourt » à l’exercice des missions de sécurité publique, ce qui sous-tend que d’autres autorités publiques sont associées à l’exercice des dites missions. L’évolution observée participe d’un mouvement plus général qui tend à déplacer le pouvoir de décision et la coordination des moyens à un niveau supra-communal lorsque la sécurité n’est plus une affaire strictement locale et que son traitement doit mobiliser l’échelon supérieur. Ainsi en est-il de l’organisation et de la distribution des secours dans le cadre des « plans d’urgence », pilotés par le préfet. La nature des dangers qui appellent l’édiction d’une mesure de police et les conditions auxquelles doivent répondre les mesures de police. Soucieuse d’un juste équilibre entre liberté et sécurité publique, la jurisprudence administrative a précisé les contours de l’obligation de sécurité dont sont redevables les autorités de police, d’une part en définissant la nature des dangers qui appellent l’édiction d’une mesure de police, d’autre part en déterminant les conditions auxquelles doivent répondre les mesures de police. A/ La nature des dangers qui appellent l’édiction d’une mesure de police La loi ne fait pas obligation au maire et au préfet d’éradiquer, matériellement et / ou par voie d’arrêté tout type de risque ; la tâche serait impossible et probablement fatale à l’exercice des libertés publiques et individuelles. Selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, l’autorité de police doit prévenir les seuls « dangers qui excèdent ceux contre lesquels les personnes doivent, par leur prudence, se prémunir »3. Il s’agit donc des dangers présentant un caractère anormal 4, exceptionnel 5, ces notions étant il est vrai contingentes. La compétence ainsi définie n’est pas un pouvoir facultatif dont l’autorité investie userait de matière discrétionnaire ou à sa convenance. Comme le relève François SERVOIN 6, « l’exercice du pouvoir de police est d’ordre public, il n’est pas négociable ni transférable ». A défaut de prendre des mesures appropriées et lorsqu’il résulte de cette carence un dommage aux particuliers, l’autorité de police engagera la responsabilité de la personne publique. Il en sera de même, du reste, dans l’hypothèse d’une défaillance affectant l’organisation des secours. Deux points doivent être ajoutés : dans le domaine de la responsabilité des services de police, le Conseil d’Etat a abandonné l’exigence d’une faute lourde 7. Une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’administration 8. Maires et préfets pourraient même voir leur responsabilité pénale engagée pour homicide involontaire ou coups et blessures involontaires 9 au cas où ils n’auraient pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de leurs missions ou de leurs fonctions, de leurs compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont ils disposaient 10. B/ Les conditions auxquelles doivent répondre les mesures de police La mesure de police est souvent constituée d’une interdiction. La jurisprudence administrative pose le principe selon lequel l’interdiction ne peut être ni générale, ni absolue, sauf situation très exceptionnelle11. Le juge administratif exige que l’interdiction soit limitée dans le temps et dans l’espace. Cette exigence découle des caractéristiques intrinsèques de la mesure de police qui doit être nécessaire, adaptée et proportionnée au risque dont il convient de protéger l’usager. A défaut de répondre à ces conditions, la mesure de police serait illégale et pourrait être annulée par le juge administratif, dans le cadre du contrôle juridictionnel maximum qu’il exerce sur ce type d’acte administratif. La sanction pénale de la violation d’un arrêté de police : en règle générale, la violation d’un arrêté municipal ou préfectoral constitue une simple contravention de la première classe réprimée d’une amende de 250 francs (art. 610 -5 du code pénal). Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en mars 1994, le manquement au règlement de police pris au titre de la sécurité publique peut dans certaines circonstances entraîner des poursuites pénales pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui 12, délit réprimé par l’article 223-1 du code pénal 13. S’agissant des sports de montagne, plusieurs condamnations ont été prononcées sur ce chef au cours des trois dernières années. Je renvoie dans ce domaine au propos de Monsieur CARLE. De surcroît, il faut rappeler que le manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements constitue une circonstance aggravante pour les atteintes involontaires à la vie (homicide involontaire) ou à l’intégrité des personnes (coups et blessures involontaires) 14. II Les réglementations des maires et des préfets concernant l’escalade et le canyoning ; cas pratiques Plusieurs constats liminaires s’imposent : ces activités qui ont en commun la verticalité (ou semi-verticalité) et l’usage des techniques de cordes sont différemment prises en compte par la réglementation. L’escalade est dans l’ensemble peu réglementée à l’inverse du canyoning qui l’est plus systématiquement. Cette différence de traitement procède de l’objet même des arrêtés, axé tantôt sur la seule prévention des accidents, tantôt sur l’anticipation ou la résolution des conflits d’usage, tantôt sur les deux, mais de manière nuancée. Même dans l’hypothèse où l’arrêté est pris pour des raisons de sécurité publique, la disparité de traitement découle de facteurs qui ne sont pas nécessairement tirés de l’accidentologie comme le montrent infra les statistiques recueillies par le système national d’observation de la sécurité en montagne 15. Ces facteurs sont plutôt d’ordre culturel et sociologique : comme l’alpinisme, l’escalade intéresse un public à priori sportif, expérimenté, mû par une logique de perfectionnement pour ne pas dire de performance, alors que le canyoning est présenté comme une activité ludique, hybride, pratiquée par un public non spécialiste, qui entend consommer un loisir dans l’instant, sans apprentissage préalable. Le cas de la randonnée pédestre est différent. Peu « instrumentalisée » et d’une accessibilité technique immédiate, cette activité est posée comme non dangereuse.
La réglementation de l’escalade est municipale, aucun préfet à notre connaissance n’étant intervenu dans ce domaine au titre de ses pouvoirs de police générale. A contrario, le canyoning mixe des réglementations préfectorales et municipales ; la plupart des départements sièges de l’activité (Alpes Maritimes, Alpes de Haute Provence, Pyrénées Orientales) sont dotés d’arrêtés préfectoraux. La différence observée procède pour une part importante de la spatialité des activités. L’escalade, au sens de site sportif d’escalade, renvoie à des sites géographiquement limités qui maintiennent l’activité dans un cadre communal alors que le canyon, comme tout cours d’eau, intéresse un territoire supra-communal. Il faut enfin souligner que les arrêtés ne traitent jamais des questions d’organisation de secours, lesquelles relèvent de dispositifs transversaux autonomes 16. La réglementation de l’escalade Comme il vient d’être précisé, il s’agit d’une réglementation municipale. L’activité politique de conventionnement conduite par la F.F.M.E.17 avec les communes et les particuliers, propriétaires des falaises, a manifestement contribué à contenir l’essor de cette dernière, voire l’a fait régresser. Les interdictions municipales semblent moins nombreuses à ce jour qu’elles ne l’étaient à la charnière des années 1970 - 1980. L’analyse de cette réglementation met en évidence deux catégories d’arrêtés : Les arrêtés d’interdiction Deux exemples
Les arrêtés organisant la pratique au plan sécuritaire Comme l’illustre celui de la commune de L’ARGENTIERE LA BESSEE du 10 août 1994 : Vu le Code des Communes, A la charnière des années 1970 / 1980, compte tenu de la massification de l’activité et de l’indiscipline que manifestaient ses adeptes, certaines interdictions (BUOUX notamment) ont pu être prises au titre du bon ordre pour anticiper ou résoudre des conflits d’usage (conflits riverains -agriculteurs-grimpeurs). L’activité attirant un jeune public de culture citadine, galvanisé par le talent de Patrick EDLINGER, certains maires ont eu à cœur de préciser la règle du jeu à l’instar de celui de St EGREVE dans un arrêté du 18 mars 1986 (aujourd’hui abrogé) : Vu le Code des Communes, article L.131-1 et L 131-2
et suivants, La réglementation du canyonisme La descente de canyon figure parmi les activités de pleine nature les plus réglementées au plan local. Cette réglementation a plusieurs particularités 20 :
L'analyse comparative des arrêtés préfectoraux et municipaux fait apparaître deux catégories de mesures de police générale, des mesures d'interdiction d'une part (A), des mesures normant la pratique sportive d'autre part (B). Enfin une troisième catégorie de mesures peut être identifiée dans le prolongement du constat précédemment fait ; il s'agit de mesures infra-juridiques d'incitation (C). A/ Les mesures d'interdiction Elles ont pour objet : soit de prévenir les accidents, l'interdiction étant alors pérenne ;
« Vu les articles L.131-1, L.131-2 et L.131-3 du Code des communes,
portant sur les pouvoirs du maire,
Tel est manifestement l'objectif poursuivi par les arrêtés préfectoraux des Alpes de Haute-Provence du 21 juin 1994, des Pyrénées-Orientales (Llech) du 6 juillet 1995 et des Alpes Maritimes du 30 avril 1996. Ces arrêtés offrent une illustration de l'hétérogénéité des mesures du fait de leur ajustement aux contraintes locales.
B/ Les mesures normant la pratique Elles traduisent une propension des arrêtés de police à assimiler des règles qui, par nature, appartiennent à l'ordre sportif. Le mouvement semble général et concerne de nombreuses activités de pleine nature, dont le parapente et les activités d'eau vive. Les usages et les règles de l'art basculent ainsi «massivement» dans l'ordre juridique. Certains arrêtés se contentent de rappeler les règles génériques de la pratique de l'activité à l'instar de celui du préfet des Alpes de Haute Provence du 21 juin 1994 portant réglementation de la descente de canyons : « (...) Art. 4 : La pratique de la descente de canyons est subordonnée
au respect des conditions suivantes : En revanche, l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales du 20 juin 1995 réglementant la pratique de la descente des gorges et cascades dresse un catalogue quasi exhaustif des règles de conduite, intégrant l'équipement individuel et collectif des pratiquants ainsi que des normes d'encadrement : «(...) Art. 1er: La pratique de la descente des gorges et cascades,
sous réserve des droits des tiers, est subordonnée au respect des conditions
suivantes : C/ Les dispositions infra-juridiques Par leur densité et leur fréquence dans les arrêtés de police, ces dernières caractérisent l'une des évolutions des pratiques administratives des années 1990. L'acte unilatéral actionne simultanément le commandement et la recommandation dans un but de prévention, celle-ci allant assurément au delà de l'obligation réductrice de faire ou de ne pas faire. La réglementation se veut, donc se fait éducatrice... Cette tendance est illustrée par l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 22 décembre 1998, dont les articles 6 et 7 reprennent à l'identique les recommandations des fédérations sportives concernées 21, initialement publiées dans l'instruction n°98-104 J.S. du 22 juin 1998. CONCLUSION La réglementation locale de l'escalade et du canyoning est manifestement une réglementation "de terrain". Elle se veut pragmatique, efficace, directe et parfois percutante dans un contexte de médiatisation surfaite des accidents de montagne et des poursuites judiciaires qui leur sont parfois consécutives. Ce dernier constat pourrait bien expliquer sa densification sur les deux dernières décennies, outre le souci quasi universel d'une sécurisation optimale, «externalisée» des activités sociales à laquelle n'échappent pas les sports de pleine nature. L'évolution n'est toutefois pas anodine et la décennie à venir permettra de juger de l'effective pérennisation du principe cardinal selon lequel, dans notre société, Monsieur CARLE le rappelait, la liberté est toujours la règle, la restriction de police l'exception. La plasticité de la réglementation, son hybridation vers des procédés moins contraignants combinant prescription et incitation, son élaboration toujours plus négociée sont, il est vrai, de nature à modifier notre perception d'une mutation d'ores et déjà en cours ! L'expérimentation (exemplaire) conduite dans les Gorges du Chassezac à travers le concept d'Unité Touristique de Pleine Nature confirme opportunément deux choses :
Les ministères ainsi que les institutionnels de la montagne le savent bien, privilégiant avec constance les voies de l'information (campagnes nationales de prévention), de l'éducation et de la formation. La citoyenneté sportive est à ce prix.
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