Actes du colloque "Création et gestion d'une Unité Touristique de Pleine Nature"®
 

Synthèse du colloque "Création et gestions d'une Unité Touristique de Pleine Nature : UTPN



Catherine RIBOT, professeur agrégé de droit public
à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble


Je suis chargée d’une mission agréable mais délicate : vous présenter la synthèse de deux journées exceptionnelles passées dans ce site remarquable des Gorges du Chassezac, à La Garde Guérin.

C’est une synthèse difficile car les interventions ont été denses et riches en argumentations ; je mesure la complexité, peut-être même le risque, qu’il y a à les résumer sans les trahir. C'est aussi une synthèse périlleuse parce que les intervenants étaient passionnants, passionnés et je de dois pas travestir l’esprit de leur communication en oubliant cet enthousiasme et cet engouement pour une forme rénovée de développement local.

Tout d'abord, je voudrais signaler que l'organisation de ce colloque (je pense que vous partagez mon avis sur ce point) était magistrale. Je me surprends à souhaiter un nouveau colloque dans les Gorges du Chassezac, peut-être sur un autre thème, pour avoir la chance de pouvoir revenir.

Les interventions étaient diverses et, ce que j'ai beaucoup apprécié, tous les acteurs susceptibles d'être intéressés par un tel projet étaient représentés. Les sportifs, le public, les élus ont ouvert le débat, suivis des experts du milieu de la montagne, le monde de la magistrature, les universitaires... Cela offre un tableau complet nous permettant d'avoir la vision la plus réelle possible de ce projet de développement. Je parle de "ce projet", alors même que Christian FONTUGNE, hier, a expliqué qu’il s’agissait plutôt d’une véritable réalisation. Ce terme de "projet" n’a pas, pour moi, d'aspect réducteur.

Les enjeux de ce colloque étaient, à mon avis, déterminants.

Tout d'abord car le site est exceptionnel ; il faut le défendre, mais aussi le promouvoir, le faire connaître.

Les enjeux étaient ensuite déterminants au niveau économique.

Nous avons perçu l'importance de cette dimension économique pendant ces deux jours. Il me semble très intéressant qu'il s'agisse bien d'un projet (ou d'une réalisation) de développement local par le local, de développement rural par le rural et non pas de l'importation de modèles extérieurs plaqués sur une réalité différente.

Et puis, il y a un autre enjeu décisif : dans un tel projet, nos propres libertés sont en cause.

Bien sûr, d'abord la liberté d'exercer la pratique sportive, les exemples ont été nombreux pendant ces deux journées : puis-je faire de l'escalade n'importe où, comme je veux, avec qui je veux, sur n'importe quel terrain, sur n'importe quel aménagement ? Puis-je me livrer à n'importe quelle descente de canyoning, à n'importe quelle heure, n'importe quand, malgré peut-être certains arrêtés préfectoraux ? La réponse, bien sûr, sera négative.

Les professionnels du sport et du tourisme sont intéressés par un tel projet : avoir la liberté de pouvoir bénéficier d'une nature protégée, préservée, quel que soit le type de développement touristique envisagé sur ce patrimoine naturel.

Je me suis alors demandé comment, finalement, résumer tout cela en une phrase, simplement : comment prendre en compte toutes ces contraintes, assez nombreuses, pour valoriser le mieux possible les atouts du lieu de la Garde Guérin, Prévenchères, Pieds de Borne, c'est-à-dire des Gorges du Chassezac ?

Il y a de très grandes diversités sur un tel projet, mais il me semble qu'est apparue, tout au fil des débats et des présentations, une convergence vers un objectif commun. Les diversités ne sont pas des divergences, grâce à la sagesse de ces acteurs qui foisonnent d’initiatives mais ont toujours le souci de veiller à la sauvegarde de préoccupations, de notre patrimoine. Il m’a semblé intéressant que ces diversités n'évoluent jamais vers le conflit, l'opposition, les antagonismes. Certes, peut-être est-ce une vision trop naïve, utopique de ma part !

Les acteurs sont nombreux.

Les collectivités locales, dynamiques, témoignent de l'importance de l'intervention publique. Le S.I.V.U. est au premier rang. Messieurs les Maires BRUNEL et VEYSSET nous ont montré hier, comment leurs communes s'étaient impliquées dans ce projet, en créant en 1993 un S.I.V.U. dont la compétence était l'aménagement global de ces Gorges au moyen de l'escalade et de la randonnée, peut-être un jour du canyoning. Les communes membres supportent l’action du S.I.V.U. Pour représenter l’action des autres collectivités locales, il faut citer l’allocution de Monsieur le Président de la région Languedoc Roussillon, puis de Monsieur Jean De LESCURE, Conseiller Général du canton.

L'Etat joue aussi un rôle déterminant. Monsieur RASZKA Directeur Départemental de la Jeunesse et des Sports, a exposé les formes de ses efficaces soutiens au projet de développement local. Nous avons entendu (je ne sais s'il représentait le législateur) une intervention en ouverture du député Monsieur CHAZAL, puis (représentant d'un des pouvoirs de l'Etat) Monsieur CARLE, magistrat au tribunal de grande instance de Grenoble.

Donc je crois qu'il y a bien un véritable partenariat entre différents acteurs publics.

Il ne faut surtout pas oublier les intervenants qui se sont manifestés lors des débats pour souligner l'importance de leur travail. Monsieur NOEL est intervenu pour représenter le Parc National des Cévennes ; Monsieur Michel CARRAUD nous a parlé aussi de cette puissance tutélaire qu'est l'Europe et qui est, finalement, non pas source de contraintes, mais plutôt pour la Lozère source inépuisable de richesses. Nous avons donc écouté des intervenants institutionnels divers et complémentaires.

Ensuite, les individuels, les intervenants privés ont soutenus l’émergence des initiatives. Bien sûr les représentants locaux des propriétaires privés ont manifesté leurs préoccupations de voir préserver leur patrimoine et d’éviter l’engagement de leur responsabilité en cas d’accidents, de dommages causés aux tiers. Il y eut sur ce sujet l'intervention de Madame Ginette GARRIGUES (propriétaire des sites d'escalade à la Garde Guérin). Monsieur Bernard AMY a exposé son souci constant de préserver les droits et les intérêts des propriétaires privés. Tous les habitants du site ne sont pas toujours concernés par les problèmes spécifiques concernant les propriétaires privés, même si ces deux catégories se regroupent. Ces habitants, sensibilisés aux questions se rapportant à leur qualité de vie, sont aussi chasseurs, pêcheurs, professionnels du tourisme assurant l'hébergement, des services de guide, d'accompagnement dans les gorges. Je n'oublie pas le rôle prépondérant des agriculteurs. La question de Madame CHRISTOPHE hier après midi, représentant la chambre d'agriculture, montrait combien les agriculteurs étaient artisans de ce projet.

A côté des intervenants privés et des habitants, il faut citer les protecteurs de l'environnement, agissant pour notre bénéfice à tous pour préserver notre environnement. Monsieur SALASSE a fait une intervention pleine de poésie analysant nos rapports à la nature et l’importance de l'éducation à l'écologie. Les guides sont apparus préoccupés face à la discussion du projet de la prochaine loi concernant l’exercice des activités sportives. Parmi les entreprises touristiques spécialisées en matière sportive, Christian FONTUGNE a joué un rôle de premier plan en portant ce projet en tant que guide, passionné de l'encadrement des touristes et des pratiquants.

Les acteurs sont nombreux et les préoccupations sont variées. Vous le comprenez, tout cela est source de dynamisme puisque tous ces intérêts vont converger pour porter ce projet de développement. Il y a donc des conciliations nécessaires entre différentes préoccupations ; y aurait il finalement conflits ? Puisqu'il y a de la variété, puisqu'il y a différence, y aurait-il divergences et antagonismes ?

Y-a-t-il, par exemple, automatiquement conflit entre les personnes qui veulent aménager un site touristique et les protecteurs de l'environnement ? Tout était réuni ici pour que j'apporte aujourd'hui une réponse positive. Force est de constater que la réponse est bien sûr négative ; cela apparaît comme une évidence à la fin de ces deux journées. Non il n'y a pas de conflits, il y a des différences mais ces différences sont source de richesses ; l'aménagement des gorges du Chassezac n'est pas porteur de stérilité conflictuelle, cela est un atout non négligeable.

La principale préoccupation des acteurs locaux répond au souci de développer économiquement et touristiquement ce site. Monsieur GIARD nous a expliqué qu'il y avait des coûts d'investissements et de fonctionnement, qu'il fallait calculer les retombées économiques sur le site. Monsieur DE LESCURE a souligné l'importance de ces retombées économiques. Il peut certes y avoir des nuances quant aux chiffres. Mais qu'importe, l'offre et la demande sont présents, chacun en est persuadé. Il y a là un impératif, une chance à saisir en matière de développement économique et touristique du site.

L'intervention de Monsieur CARRAUD a magistralement montré combien ce développement économique pouvait être aidé, et même souhaité par les instances européennes. C'était à mon avis une intervention très intéressante, car nous avons souvent tendance à percevoir cette action des institutions européennes comme une menace sur toute entreprise, alors que nous avons appris l’existence d’un décalage entre les discours et la réalité. Ces institutions communautaires sont source de richesses, de crédits et donc peut-être source de dynamisme. La Lozère a su saisir cette chance européenne.

La prévalence des préoccupations en matière de préservation et de mise en valeur du patrimoine s’est imposée au cours de ces deux jours. J'ai noté cela au fil des différentes interventions. Monsieur BRUNEL, maire de Prévenchères, expliquait par exemple qu'il fallait adopter une conception élargie du patrimoine alors que Monsieur DENICOURT, président de l'Agence méditerranéenne de l'environnement décrivait l'importance de ce patrimoine. Monsieur GARRIGUE (orateur improvisé, habitant de la Garde et propriétaire des sites d'escalade) a prouvé combien était grand son attachement sentimental à ce patrimoine. Il me semble qu'il ne faille pas évacuer cet aspect sentimental, affectif dans un tel projet. On aurait peut-être tendance à « le passer à la moulinette » des crédits, des programmes LEADER, INTEREG, des problèmes de responsabilité juridique… et d'oublier finalement l'aspect subjectif qui compte tant et qui nous détermine tous, au fond. Le patrimoine, je l'envisage dans un sens très polysémique et très vaste, c'est-à-dire le patrimoine naturel, la défense de la nature et de l'écologie, le patrimoine culturel et le patrimoine touristique.

En réalité, cette hétérogénéité apparente converge vers un objectif commun. D'abord, il y a reconnaissance et acceptation des difficultés, l'objectif finalement de ne pas se voiler la face, de ne pas construire un projet abstrait, beau sur le papier en ignorant les réalités. Les difficultés sont reconnues ; elles ne sont pas niées. A mon avis, c'est une vertu de ce colloque de montrer cela. Il y a bien sûr les déterminismes géographiques et naturels : la difficulté d'accéder au milieu peut être une difficulté mais aussi une protection en matière de responsabilité, en ne permettant pas à toutes les personnes mal équipées de se rendre dans les Gorges. Les déterminismes géographiques sont aussi des atouts lorsqu’il faut envisager la nécessité de réaliser des diagnostics écologiques, d'appréhender globalement ce projet de développement. Au-delà de l'aspect technique, se trouve la dimension philosophique, qui a donné lieu à une controverse entre Monsieur AMY et Monsieur SALASSE, ce dernier démontrant que les déterminismes naturels n'étaient pas uniquement une charge et pouvaient être source de dynamisme.

Monsieur AMY nous a fait comprendre que le risque zéro n'existait pas et qu'il y avait automatiquement une certaine insécurité juridique en matière de responsabilité. Certains ont mesuré l'ampleur de cette insécurité juridique, et nous étions rassurés lorsque Francis CARLE a précisé que, finalement, celle-ci était toute relative puisque, en réalité, bien peu de maires voyaient leur responsabilité recherchée pour de tels faits devant les juridictions pénales, et lorsque c'était le cas, très peu de condamnations étaient prononcées. Les questions ont afflué vers Francis CARLE, capable de nous dire enfin la « vérité juridique » : qui serait responsable, quand, comment, pour quoi ?

Mais Monsieur PINGUET a prononcé cette phrase : « il y a obligation de faire, mais aussi il y a obligation de ne pas trop en faire » et nous avons mesuré là que finalement la balance était difficile à équilibrer. Selon lui le bon sens doit primer dans l'interprétation de ces notions. Paradoxalement, la complexité juridique qui nous a été expliquée n'est pas automatiquement source de difficultés en pratique. Elle apparaît certes immédiatement mais la réalité est encore plus complexe que ce que le droit tente de traduire. Nous l’avons compris lorsque les élus locaux, les gens de terrain, les praticiens nous ont fait part de leurs interrogations. Effectivement, il y a des aspects relatifs à la psychologie sportive et touristique dans l'information du public déterminants. Le droit n'arrive qu’en second, bien après l’action des acteurs locaux.

Quant aux difficultés reconnues, je vous ai dit qu'il y avait convergence vers un objectif commun. Quel est-il ? Je pense que vous avez la réponse, il n'y a pas de suspens là-dessus. Cet objectif commun est la réalisation d'un projet global, durable de développement dans les Gorges du Chassezac et, au-delà, l’élaboration d’un projet qui pourrait avoir valeur de modèle dans d'autres régions au niveau français (programme INTERREG) ou européen et international.

Christian FONTUGNE avait illustré son exposé avec une diapositive indiquant trois impératifs : aménager, préserver, gérer. La somme de ces trois points offre la synthèse de l'ensemble des difficultés et de l'ensemble des atouts d'un tel projet. J'ai retenu la phrase optimiste de M. le Directeur de la Jeunesse et des Sports affirmant qu'il faut arriver à prouver qu'il est possible de faire de grandes choses puisque le sport rassemble. Ce projet de développement fondé sur la pratique sportive est profondément intégrateur. Au sein de ce foisonnement d’initiatives, de préoccupations, d'acteurs, il faut trouver des convergences, des éléments qui vont permettre d'intégrer toutes les priorités. Oui, cela est possible grâce à la réalisation d'un partenariat et d'une gestion concertée du projet. Jean-Louis VERDIER a convaincu en nous présentant concrètement comment cela avait été réalisé à Chamonix, en prenant compte par exemple toutes les initiatives grâce à l’existence de lieux de réflexion, dans le cadre de commissions au niveau municipal.

L'intégration de toutes les priorités se fait dans une perspective de développement de la qualité. C'est un terme qui est revenu aussi régulièrement au fur et à mesure des discussions. Il a été question de l'élaboration de Charte de Qualité en matière d'agriculture et de tourisme rural et ne faudrait-il pas créer une telle Charte pour des projets semblables à celui que nous avons étudié ? Les gorges du Chassezac étant un produit touristique de qualité, comment se traduirait cette qualité ? Elle pourrait prendre trois formes : la sécurité, l'innovation et la performance.

Hier, Monsieur SALASSE, expliquant que les Gorges du Chassezac étaient une aventure de plénitude, interprétait ce sigle d'U.T.P.N. comme Unité Touristique de Plénitude. L’aménagement des gorges du Chassezac est bien l'exemple d'une réalisation offrant au public une réelle plénitude en matière sportive et de tourisme.

Je veux remercier toutes les personnes qui ont oeuvré pour que nous passions deux journées de réflexions performantes et agréables. Il me reste à féliciter les deux petites « fées » qui veillent depuis déjà de nombreuses années sur le développement de ce projet d’aménagement des gorges du Chassezac et qui ont tout fait pour que ces deux jours soient en tous points exceptionnels : Francine SOUCHON et Marc FABRE.

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