Actes du colloque "Création et gestion d'une Unité Touristique de Pleine Nature"®
 
THEME I « GESTION DE L’ESPACE, L’EXEMPLE DU SIVU DES GORGES DU CHASSEZAC, APPROCHE SOCIOLOGIQUE, ENVIRONNEMENT »

Christian FONTUGNE , présentation du projet d’Unité Touristique de Pleine Nature (UTPN)
Bernard AMY, y a-t-il antinomie entre gestion de l'espace et liberté de pratique des activités de pleine nature ?
Jean Paul SALASSE, concilier protection du milieu naturel et activités de pleine nature, gageure ou défi à relever ?
j Questions et commentaires
Rémi NOEL, Parc National des Cévennes
Marie-Ange CHRISTOPHE, Chambre d'Agriculture de la Lozère
Christophe COTTON, Ligue de Protection des Oiseaux
Dominique GIARD Service d'Etude et d'Aménagement Touristique de la Montagne

Christian FONTUGNE, présentation du projet d’Unité Touristique de Pleine Nature (UTPN)

Accident géologique majeur du Vivarais Cévenol, dominées par l’imposant village médiéval de la Garde Guérin, les Gorges du Chassezac sont reconnues comme le plus beau parcours de canyoning de Lozère. D’Albespeyre, modeste hameau aux portes de la Margeride, au village de Pied de Borne, à proximité de l’Ardèche, la rivière s’enfonce sur 7 km de long dans les granites du massif de la Borne. C’est l’exception cévenole, car partout ailleurs le schiste, roche emblématique inféodée au paysage, a modelé "serres" et "valats", si typiques de ces hautes terres.

Le relief, tourmenté à foison, accuse une dénivellation qui par endroit approche les 350 mètres, la largeur n'excédant pas 400 mètres dans la partie centrale. Milieu fermé, d'accès difficile, on y pénètre uniquement à l'aide de sentiers escarpés supportés par des murets ancestraux, souvenirs des périodes où l'arbre à pain (le châtaignier) faisait vivre (ou survivre) le pays au rythme des saisons.

Héritage de leur notoriété, chaque année, les gorges attirent et fascinent plusieurs milliers de canyonistes qui y trouvent un terrain de jeux aux difficultés techniques modestes mais soutenues, réunissant tous les ingrédients de l'aventure aquatique : chaos de blocs, cascades, grand biefs et longueur du parcours dans un paysage très sauvage, assurent un dépaysement total.

Site d'intérêt national d'escalade

Au printemps 1996, l'aménagement des sites d'escalade s'est concrétisé par la création de plus de 3500 mètres de parcours sportif, totalisant plus de 140 voies. Toutes les difficultés sont représentées pour la satisfaction du public le plus large.

Débutant ou grimpeur confirmé, chacun trouve un rocher à la mesure (ou la démesure) de ses ambitions. Désormais, Espace Aventure des Gorges du Chassezac, peut s'enorgueillir du titre de site d'intérêt national d'escalade.

A proximité du village médiéval de la Garde Guérin, le nouveau belvédère des Gorges du Chassezac surplombe la partie centrale des gorges . On y accède en quelques minutes à pied, depuis un parking, récemment aménagé par le SIVU des Gorges du Chassezac. Le visiteur peut y admirer un des plus beaux paysages de Lozère, et participer en direct (et sans danger) au spectacle qu'offrent les grimpeurs en action. Frissons gratuits et garantis en saison estivale. La grimpe, c'est aussi un spectacle.

Canyoning en direct

250 mètres plus bas, on aperçoit l'étroiture, brèche en V quasi parfaite dont la profondeur dépasse la centaine de mètres. Elle est si resserrée, que les canyonistes progressent dans une rigole naturelle (la Rajole en patois local) de la largeur d'un pied en son point le plus bas. C'est, outre un endroit d'une grande beauté, le passage clé de la descente avec son célèbre "bloc coincé", qui oblige le canyoniste à une délicate manoeuvre pour franchir le goulet.

Pour savourer ce spectacle unique de l'aventure en direct, munissez-vous au préalable d'une paire de jumelles. Sur le parking, une table d'orientation complète la lecture du paysage et vous initie aux secrets de la géologie des Gorges du Chassezac. L'exception cévenole n'a pas fini de vous étonner.

Une histoire de secours

En juin 1989, la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports, sur proposition de la Préfecture de la Lozère, décide de résoudre les problèmes de secours relatifs au canyoning dans les Gorges du Chassezac. Quatre échappatoires sont créés, un service d'accompagnement professionnel est mis à la disposition du public, tandis que l'étude d'un projet global d'aménagement, s'appuyant sur la notion d' "Unité Touristique de Pleine Nature : UTPN", complète ce dispositif.

Avant cette date, les Gorges du Chassezac, sont le "domaine réservé" d'aventuriers venus découvrir la beauté du plus majestueux des torrents lozériens. Peu ou prou prises en compte par les acteurs du tourisme local, c'est avant tout l'antre du diable, l'endroit réputé dangereux qu'il ne fait pas bon fréquenter.

Référencées dans des topos guides diffusés nationalement, les gorges attirent les adeptes de la randonnée aquatique. On ne parle pas encore de canyoning, et la fréquentation reste réservée aux initiés possédant une bonne condition physique, doublée d'une solide expérience.

La descente se fait du hameau d'Albespeyre, en amont du village médiéval de la Garde Guérin, au village de Pied-de-Borne, limitrophe avec l'Ardèche. Longue de 7 km pour 530 mètres de dénivellation, elle demeure une aventure à ne pas mettre entre toutes les mains. En effet il n'y a aucun échappatoire commode tout au long du cours d'eau, ce qui oblige les "canyonistes" à effectuer l'intégralité du parcours pour sortir des gorges.

Cet "engagement" important du parcours surprend plus d'un amateur et des groupes se trouvent régulièrement "coincés", après la célèbre "étroiture", sous le village de la Garde Guérin. L'épuisement, dû à la mauvaise condition physique et à un équipement insuffisant, en est la cause essentielle.

La Sécurité Civile de Villefort, qui dispose uniquement de pompiers bénévoles pour l'organisation des secours, doit faire régulièrement appel à l'hélicoptère pour le treuillage. L'appareil, qui vient de Montpellier, 95 km à vol d'oiseau, coûte de plus en plus cher à la collectivité et les élus locaux s'émeuvent de cet état de fait.

Alors que l'on parle bientôt d'interdiction pour la saison estivale 1989, la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports décide de trouver une solution pour éviter la fermeture des lieux. Le Directeur Départemental, Jean-Marc SALEMME, aidé de Marc FABRE, descend les gorges et découvre un milieu original, d'une grande richesse environnementale, exceptionnellement favorable à la pratique du canyoning. Conscient des enjeux pour le développement économique du canton, il propose la mise en place d'un plan d'action visant à sauvegarder la pratique de cette activité et à aider toute initiative de développement du tourisme sportif de pleine nature.

Cette action se déroule en deux phases :

- tout d'abord, on réalise un aménagement du canyon, en concertation avec les pratiquants eux-mêmes. On remplace les équipements vétustes par les dernières nouveautés en matière d'escalade et, pour compléter cette rénovation, quatre sentiers échappatoires sont créés et balisés.

- ensuite, un encadrement professionnel est proposé aux personnes désirant descendre les gorges. Cet encadrement est réalisé par un guide de haute montagne, au service de l'association Montagne Aventure Nautisme de Villefort.

Cette association, qui gère la base nautique sur le lac de Villefort, propose donc en complément des activités nautiques traditionnelles, une activité escalade et la descente des gorges en canyoning. La clientèle, orientée par l'Office du Tourisme de Villefort, permet un développement conséquent du tourisme sportif de pleine nature sur le canton. L'"esprit Chassezac" imprègne peu à peu le tourisme local, les visiteurs découvrent l'univers insolite des gorges et les plaisirs du canyoning.

Ces initiatives permettent l'abaissement du nombre de secours de 100 %, dès la première saison estivale de 1989. Paradoxalement la fréquentation est multipliée par trente. On estime à l'heure actuelle qu'un minimum de 3000 personnes par saison fréquente les gorges. Les accidents y sont désormais exceptionnels.

Parallèlement à cette démarche plus éducative que commerciale, une étude recensant les richesses touristiques du site est réalisée par « L'air du Sud », Christian FONTUGNE, guide de haute montagne. On parcourt, à cette occasion, les gorges dans leurs moindres recoins. Plusieurs falaises sont escaladées avec les nouveaux grimpeurs locaux.René CAUSSE, ex-Président de Montagne Aventure Nautisme et actuellement maire de Pourcharesses, initié à toute hâte à l'escalade, réalise quelques belles ascensions, tandis que Jean DE LESCURE, Conseiller Général du canton de Villefort, descend les gorges en canyoning. Ils en reviennent tous enthousiasmés et deviennent, ainsi, les meilleurs ambassadeurs du développement local.

Au fil des jours, le schéma d'aménagement se dessine. Au gré des confrontations d'idées et de l'exploration de ce nouvel "espace aventure", le projet se précise. On découvre que les lieux sont potentiellement site d'intérêt national d'escalade et qu'un réseau de sentiers peut étoffer une offre touristique, déjà peu banale, centrée de façon restrictive autour du canyoning. Le concept d'"Unité touristique de pleine nature " est né et certains commencent à croire aux vertus providentielles de l'"antre du diable". Les dieux auraient-ils chassé Satan ?

Un concept novateur

Pour concilier la protection de l'environnement et le développement des activités de pleine nature, le SIVU (Syndicat Intercommunal à Vocation Unique) des Gorges du Chassezac s'appuie sur une stratégie globale de gestion de l'espace formalisée autour du concept d'«Unité Touristique de Pleine Nature : UTPN ».

Cette stratégie se veut un modèle de gestion pour protéger et mettre en valeur l' espace nature exceptionnel que constituent les Gorges du Chassezac. A ce titre, il a reçu le soutien de la communauté européenne par l'intermédiaire des programmes Leader (Liaison Entre Actions de Développement de l'Economie Rurale), mais aussi de l'Etat, la Région Languedoc Roussillon, le Conseil Général de la Lozère, la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports, le Parc National des Cévennes et le Comité Départemental de la Fédération Française de la Montagne et de l'Escalade.

Concrètement, il s'agit de proposer un développement touristique harmonieux, et concerté, autour des activités de pleine nature que sont le canyoning, la randonnée et l'escalade.

Ce projet s'articule autour de trois idées fortes.

En premier lieu, il s'agit de protéger l'environnement exceptionnel que constituent les gorges avant d'envisager, en second lieu, la possibilité d'un aménagement partiel pour le mettre à disposition du public. Enfin, l'établissement de règles précises de gestion du milieu naturel doit permettre d'éviter toute exploitation anarchique.

Véritable station de pleine nature, l'aménagement des secteurs d'escalade est soumis à une charte de gestion des sites rupestres, sorte de code de bonne conduite à destination des utilisateurs. Un plan de gestion complète ce document grâce à un zonage de l'Espace Aventure délimitant les secteurs aménagés à demeure et les secteurs non aménagés. Une zone de protection intégrale, où l'escalade est interdite, renforce ce dispositif.

En ce qui concerne les sentiers de randonnée, leur création relève exclusivement de la compétence du SIVU des Gorges du Chassezac. Un plan de développement intercommunal définit l'ensemble du réseau, et le balisage est conforme à la charte départementale du Conseil Général de la Lozère. Ce document, approuvé par l'Assemblée Départementale, est un véritable cahier des charges réalisé dans le cadre de la loi du 22 juillet 1983 sur les Plans Départementaux des Itinéraires de Promenade et de Randonnée (P.D.I.P.R). Le respect des recommandations contenues dans ce document est un gage de qualité et de sécurité pour le pratiquant.

Pour le canyon enfin, soumis aux caprices de la météorologie locale, le problème de son mode de gestion suscite de nombreuses interrogations. En effet, il n'est matériellement pas possible de garantir des équipements exposés à des crus aussi subites qu'imprévisibles. Ces terrains ne pouvant être aménagés de façon pérenne, ils sont donc considérés comme des "terrains d'aventure", où la sécurité des usagers dépend avant tout de leurs capacités techniques à aborder les difficultés et à gérer l'imprévisible. Même si les équipements sont, dans la mesure du possible entretenus et vérifiés, il convient à chacun d'en vérifier la solidité et d’évaluer les risques avant toute utilisation. Dans le doute, il est fortement recommandé de recourir à un service de guides spécialisés.

Mais une "Unité Touristique de Pleine Nature" ne peut fonctionner sans un organe central de décision. C'est pourquoi, la gestion et la coordination des travaux de maintenance de l'UTPN sont assurées par un opérateur unique situé à la Maison de l'Escalade et de la Randonnée dans le village de la Garde Guérin.

Né de la volonté des communes de gérer leur territoire à des fins de tourisme sportif, "Espace Aventure des gorges du Chassezac" doit déboucher, à terme, sur un véritable conservatoire de la richesse des gorges, et emmener en Languedoc-Roussillon le nouveau concept d"Unité Touristique de Pleine Nature". Une chance à ne pas manquer pour le développement du tourisme rural lozérien et régional.

Il est interdit d'interdire

Le concept "Unité Touristique de Pleine Nature" repose sur la liberté de pratique des activités sportives, en s'appuyant sur un mode de gestion rigoureux du territoire, à caractère informatif plutôt que répressif.

Les activités physiques de pleine nature (APPN), ont pour caractéristiques de se dérouler dans un milieu naturel par définition imprévisible, où la demande de sécurité absolue des pratiquants est forcément illusoire. On ne peut concevoir le milieu naturel montagnard comme un stade ou circuit aménagé pour la pratique du canyoning, de l'escalade ou de la randonnée, où toute prise de risque serait bannie.

La tendance actuelle de "la sécurité à tout prix" risque à courte échéance d'aboutir à une impasse en induisant, soit la fermeture du milieu de pratique, soit la multiplication des aménagements à outrance, qui aurait pour effet de détruire l'essence même de ces activités. Il est en effet tentant pour les responsables des secours, c'est-à-dire les maires de communes, d'interdire sur leur territoire l'accès aux endroits dangereux (ou réputés tels quels), alors même que les pratiquants sont à la recherche de sites vierges de tout aménagement lourd, hors des contraintes réglementaires des activités sportives plus classiques.

A l'opposé, la "phobie" du "risque zéro" peut induire des aménagements lourds, préjudiciables à l'environnement, et en tout cas incompatibles avec la notion de "rusticité" et de prise de risque, inhérentes aux activités physiques de pleine nature.

Si les élus sont souvent accusés de vouloir ouvrir le "parapluie juridique" trop facilement, les pratiquants ont aussi leur part de responsabilité. En effet, la recherche systématique de la faute met trop souvent en cause ceux-là même qui accordent la liberté d'aller et venir sur leur territoire. Bien que non dénuée de bon sens "juridique", la recherche de responsabilité a quelque chose de choquant, et provoque des réactions de frilosité de la part des décideurs, quand ce n'est pas un rejet pur et simple de l'activité incriminée.En d'autres termes, il est plus facile d'interdire, sous le prétexte de protéger le public des dangers supposés du milieu naturel, que de chercher des solutions.

Pour répondre aux soucis des pratiquants comme des gestionnaires de sites de pratique, "Espace Aventure des gorges du Chassezac" propose un classement rigoureux des terrains de pratique permettant aux décideurs, élus et gestionnaires de sites, d'ouvrir leur territoire au public.

Le principe est simple, et comme toute chose simple, repose sur le bon sens. On aménage les zones pouvant supporter une fréquentation intensive et accueillir le public dans des conditions optimales. On laisse en l'état les zones sensibles, ce qui a pour effet d'en limiter la fréquentation et assure leur "protection" naturelle. L'expérience montre que, plus on facilite l'accès du milieu naturel au public, moins celui-ci est préparé à en accepter les aléas.Le tourisme sportif de pleine nature n'échappe pas à la logique du "consommateur roi" et exigeant en matière de sécurité. Inversement, moins l'on aménage, plus le public est préparé (et donc sensibilisé) à une approche plus autonome. On s'aperçoit que les accidents sont inversement proportionnels à la facilité d'accès du milieu naturel.

Concrètement, un zonage précis de l'Unité Touristique de Pleine Nature permet d'informer les amateurs de randonnée, escalade, canyoning, sur la particularité de chaque terrain de jeu. Ce zonage s'appuie sur la terminologie proposée par le Comité d'Organisation et de Défense des Sites et Rochers d'Escalade (COSIROC), reprise par la Fédération Française de la Montagne et de l'Escalade (FFME). Il divise les secteurs en sites sportifs (secteurs aménagés) et terrains d'aventure (secteurs non aménagés).

Encore faut-il préciser que ces aménagements sont des équipements légers, qui se résument à la pose à demeure de pitons, un balisage des voies d'escalade et des sentiers de randonnée. Ces aménagements ne sauraient suppléer l'incompétence technique des pratiquants, à l'image des pistes de ski, qui, si elles facilitent l'accès au domaine skiable, ne sont pas pour autant exemptes des risques inhérents à cette activité. On peut considérer, comme il est coutumier en droit français, que chaque citoyen sachant lire et écrire, peut donc interpréter le zonage qui lui est proposé et réagir en conséquence. En d'autres termes, chaque individu étant majeur, il lui revient, en compensation de la liberté d'aller et venir sur un territoire, d'assumer l'entière responsabilité de ses actes. C'est toute l'éthique de l'accueil du public dans les Gorges du Chassezac.

Il apparaît qu'il n'y a pas antinomie entre gestion de l'espace et liberté de pratique des activités de pleine nature. Il convient, bien au contraire, d'associer ces deux éléments pour éviter la fâcheuse tendance au recours systématique aux tribunaux au moindre accident. Le maintien de la liberté d'aller et venir garantie par notre Constitution est sans doute à ce prix. Une philosophie que l'on peut résumer par le fameux slogan : "il est interdit d'interdire".

Un carrefour juridique

"Espace Aventure des gorges du Chassezac" se trouve au carrefour de plusieurs matières juridiques : application de la loi Montagne, du Droit de l'Urbanisme, du Droit de l'Environnement, du Droit du Sport, réglementation spécifique aux parcs naturels, Droit de la Domanialité et Droit de la Responsabilité Administrative, éventuellement Droit des Assurances... Aujourd'hui, le régime juridique des activités de plein air (randonnées, V.T.T., canyoning et surtout escalade) n'est pas encore totalement déterminé. Le droit applicable laisse beaucoup d'incertitudes qu'il faut absolument lever en prenant un certain nombre de précautions réglementaires ou contractuelles, sous peine de risquer d'engager la responsabilité financière, civile ou pénale des décideurs locaux. Cette situation n'est pas un handicap ; elle doit, au contraire, être une source de richesses en permettant aux décideurs locaux de choisir en toute connaissance de cause selon leurs propres volontés. "On est jamais aussi bien servi que par soi-même"..

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Bernard AMY, y a-t-il antinomie entre gestion de l'espace et liberté de pratique des activités de pleine nature ?

Je veux surtout et d'abord, avant toute chose, remercier les organisateurs de ce colloque et en particulier Christian FONTUGNE de m'avoir demander de venir participer à ce débat, et en m'invitant, d'avoir invité un pratiquant d'à peu près toutes les activités de pleine nature que l'on pratique dans les gorges. Je voudrais parler au nom de tous ces pratiquants.

On a eu tout à l'heure le point de vue des élus. Il y a ici des professionnels de la montagne et du tourisme. Il était bien que les pratiquants aient aussi un représentant qui va apporter dans ce débat le point de vue des pratiquants des sports de pleine nature. Donc Christian vous l'a dit, la question que l'on m'a demandé de poser est : y a t-il antinomie entre la gestion de l'espace et la liberté des pratiques sportives dans ce même espace ?

Pour moi, la réponse est très claire : il n'y a pas antinomie si on veut qu'il n'y ait pas antinomie.

Mais il se trouve que si on pose la question, c'est parce que dans l'esprit de la plupart des gens, dès que l'on parle de gestion de l'espace, on pense justement à une limitation de la liberté des pratiques. Et je pense qu'il y a un malentendu profond qui vient de ce que, trop souvent, on confond gestion, réglementation et aménagement.

En fait, il y a des exemples multiples. Si on pense aux exemples les plus récents, vous vous souvenez sans doute de l'interdiction du ski hors piste au cours de l'hiver 1999 dans les Alpes, et en particulier dans le département de la Haute Savoie. Il y a eu une réglementation sous prétexte de la gestion de l'espace. Elle a été immédiatement perçue par les pratiquants comme étant une limitation de leur liberté de pratique.

Si vous allez faire de la randonnée en Provence en juillet -août, il est interdit de randonner dans certains massifs comme le massif de la Sainte Victoire. Il y plusieurs années, dans deux Landers de l'Allemagne, l'escalade a été entièrement interdite sur toutes les falaises pour des problèmes de protection d'espèces animales.

Et puis enfin il y a un autre exemple classique de l'antinomie entre gestion et liberté : ce sont toutes les procédures de création de parcs naturels régionaux ou nationaux qui sont toujours perçues, par les populations locales, comme un essai de limitation de leur propre liberté, de cette liberté qu'elles revendiquent sur leur propre terrain.

Tout ça pour dire que, de manière générale, dès que l'on parle de gestion de l'espace, on pense à une limitation de la liberté. Je crois que l'exemple de ce qui est en train de se faire ici est assez intéressant et novateur parce que c'est un exemple où, je crois, est en train de se mettre en place tout un système de gestion de l'espace dans lequel on essaye de donner à chacun sa liberté.

En fait, les conflits viennent le plus souvent sur un même site, à la fois de la multiplication des usagers -il y a de plus en plus d'usagers du terrain de pratique comme cela se passe ici dans les gorges- et de la multiplication du type d'usage, donc une multiplication des différents types de pratique. On arrive à ce problème qui a été évoqué tout à l'heure par Christian et qui pose la question suivante : comment donner, sur un même site, la place à chaque pratique et à chaque pratiquant.

Alors dans le cadre des activités physiques et de pleine nature, ce que l'on appelle du côté du ministère les APPN, à tous ces conflits dûs à des rivalités, à des présences trop nombreuses de pratiquants, viennent se surajouter des problèmes dûs au fait que la plupart des activités de pleine nature sont des activités à risque. Entre les conflits de pratiques, les conflits administratifs et ce fameux risque, la tendance est en général assez grande de chercher la première solution qui vient à l'esprit pour tous les responsables qui est celle de, puisqu'il y a des problèmes, on cherche à supprimer la cause de ces problèmes.

Le moyen le plus simple, c'est de simplement supprimer. Donc on interdit les pratiques et c'est ce qui se fait dans pas mal de communes. Je connais mieux les Alpes que la Lozère et je peux vous citer pas mal de communes où les maires ont pris des arrêtés d'interdiction pure et simple.

L'autre solution pour supprimer le problème, c'est de faire en sorte que le risque et tous les conflits qu'il engendre soient réduits au strict minimum. On en vient à toutes les solutions qui tendent vers un aménagement le plus vaste et le plus profond possible du terrain de pratiques.

Donc, interdiction ou aménagement très fort, ce sont les premières solutions auxquelles on pense. Alors, il se trouve que ce sont des solutions qui sont assez irréalistes.

D'abord parce que, par essence, les activités de pleine nature sont des activités dans lesquelles les pratiquants demandent justement à être dans ce que l'on appelle de la pleine nature, donc sur des terrains les moins aménagés et les moins réglementés possibles. Si vous regardez ce qui se passe dans les Alpes en hiver et principalement dans les stations de ski, vous voyez qu'à peu près partout dans les Alpes se pratique le fameux ski hors piste. Comment est né le ski hors piste ? Il est né de l'aménagement des stations. Sur l'ensemble des pratiquants, on va toujours trouver une proportion non négligeable qui va vouloir trouver des terrains non aménagés et qui donc va aller hors piste.

Ici, je pense que c'est la même chose. Plus on aménagera, plus on trouvera de gens pour aller au-delà des terrains aménagés. C'est l'essence même dans les Alpes de l'alpinisme, ici des activités de pleine nature.

D'autre part, vouloir aménager pour diminuer le risque est une solution irréaliste en ce sens que le risque zéro n'existe pas. Et quand on oppose terrains d'aventure et terrains équipés en disant que les terrains équipés sont sécurisés alors que les terrains d'aventure sont des terrains non sécurisés, c'est une fausse manière de présenter les choses.

Dans les deux cas, on ne cherche pas la sécurité on cherche à réduire au maximum l'insécurité. Et ce qui différencie les deux cas, c'est que les solutions prises ne sont pas les mêmes. Dans le cas des terrains de l'escalade moderne, il y a des gens extérieurs au milieu des grimpeurs qui vont équiper, aménager le terrain et qui va permettre des pratiques sportives dans lesquelles les pratiquants dépendent entièrement de cet équipement et ne sont donc pas autonomes.

Dans le deuxième cas, dans les terrains d'aventure, on cherche aussi à diminuer au maximum l'insécurité mais en apprenant aux pratiquants des techniques d'assurage qui vont leur permettre d'assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Et donc on arrive à des pratiques beaucoup plus autonomes et responsables.

J'insiste sur ce point puisque tout à l'heure, un élu a parlé de la fameuse responsabilité des maires, responsabilité des propriétaires des terrains de pratiques. Je pense que la responsabilité des maires est la conséquence directe de l'irresponsabilité des pratiquants. Si on n'avait que des pratiquants entièrement responsables et autonomes, on ne parlerait plus de la responsabilité des maires. Et la plupart des accidents proviennent de gens qui s'engagent sur des terrains pour lesquels ils ne sont pas formés et qui font qu'ils sont irresponsables. C'est un point très important et dans toutes les zones de haute montagne tel qu'on en trouve dans les Alpes ou dans les Pyrénées, il est essentiel de développer des pratiques autonomes et responsables.

Il y a aussi une troisième raison pour essayer de développer au maximum des terrains d'aventure, donc des terrains de pleine nature non aménagés, qui est que, aujourd'hui, il apparaît que les zones de pleine nature telles qu'on en trouve ici, sont devenues ce que j'appelle des zones économiquement et sociologiquement absolument nécessaires.

Tout le développement aujourd'hui des zones rurales de montagne et en particulier dans les Alpes, dans le Massif Central et dans les Pyrénées, montre que l'on tend vers une situation globale qui va être de plus en plus vers de grands centres urbains avec autour de ces villes des zones qui vont être de plus en plus des zones de pleine nature, qui sont aujourd'hui victimes de la fameuse désertification rurale et qu'on a tendance à percevoir comme de plus en plus inutiles.

Elles sont inutiles dans le cadre de vision classique de développement économique. Si on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'en fait ce sont des zones qui vont devenir peu à peu de plus en plus complémentaires des zones urbaines. L'urbanisation a pour corollaire la demande grandissante de zones non aménagées, de zones de pleine nature. Et il se trouve que la désertification fait qu'il apparaît de plus en plus de zones de ce type. Alors, il se trouve que l'urbanisation grandissante pose de plus en plus tous les problèmes que pose l'urbanisation. Pour conclure sur ce point, disons que l'urbanisation génère des besoins de nature qui peuvent être satisfaits par les zones de pleine nature qu'on va de plus en plus trouver autour des grandes villes.

Si on regarde ce qui peut être fait dans ces zones de pleine nature, on s'aperçoit qu'il va falloir faire face de plus en plus à un afflux grandissant de visiteurs, et de visiteurs de toutes les sortes, y compris des gens qui vont chercher ce qu'on peut appeler des terrains de pleine nature les moins aménagés possibles. Et on en revient au fait qu'il va falloir gérer les espaces dans lesquels on peut trouver ces terrains.

Donc, il faut gérer cet espace mais à deux conditions :

1 - la première, c'est d'admettre la diversité des pratiques. C'est-à-dire donner à chacun sa place. Tout à l'heure, Christian nous a projeté trois photos qui symbolisaient les trois activités qui sont pratiquées ici dans les gorges : le canyoning, la randonnée et l'escalade moderne. Je regrette qu'il n'y ait pas une quatrième photo qui représente justement l'escalade sur terrain d'aventure et peut-être aussi d'autres activités. Mais j'ai regretté aussi que dans ces activités, il n'y ait pas une cinquième ou une sixième photo qui ait représenté des activités traditionnelles locales telles que la chasse ou la pêche. Et vous avez créé un site à vocation unique, je trouve qu'il aurait du être à vocation multiple.

Aujourd'hui, dans la plupart des zones des Alpes, tous les mouvements de protection et de défense de la montagne envisagent de plus en plus à chaque fois de discuter de problèmes de protection avec les élus de l'ANEM (Association Nationale des Elus de Montagne). Il est devenu de plus en plus clair qu'on ne peut plus aujourd'hui discuter de la protection du milieu de la montagne, et en particulier de la haute altitude, sans en discuter avec les gens du pays. Donc je pense qu'il faudrait, ici, bien montrer que dans cet espace d'activités multiples il y a vraiment place pour absolument tout le monde.

2 - la deuxième condition, c'est qu'il faut prendre en main l'avenir des zones de pleine nature, mais il faut savoir que ça va être de moins en moins facile. En gros, les menaces qui pèsent aujourd'hui sur les activités de pleine nature sont des menaces qui pèsent sur les pratiquants. Ces menaces sont aussi des obstacles à une libre gestion des terrains de pratiques. Donc, ce sont des menaces qui pèsent aussi sur les gens qui veulent prendre en main la gestion des gorges et de tous les terrains qui les entourent.

Il y a aujourd'hui quatre principales menaces :

1 - il y a 10 ans, la principale menace qui pesait sur les zones de montagne, c'était les aménageurs, les bétonneurs, les fabricants de stations de ski et de téléski. Aujourd'hui, la menace persiste, mais il y a aussi d'autres menaces qui commencent à apparaître. Il y en a deux qui découlent de ce que l'on appelle la « juridisation » de notre société qui fait que dans toutes nos activités, que l'on soit en ville ou dans la nature, où que l'on soit, il y a un rôle grandissant de ce que j'appelle les juges, qui sont des gens qui par leur métier sont amenés à juger de plus en plus d'affaires qui concernent les activités de pleine nature. Ils se sont réunis, il y a quinze jours à Aix en Provence, justement pour discuter de ces problèmes que posent juridiquement les activités de pleine nature. Il y en a un qui a été clair et qui a dit : «nous, notre métier c'est de juger, pour juger, il faut des textes, et pour qu'il y ait des textes, il faut qu'il y ait des lois, donc des réglementations». Donc il y a un rôle grandissant des tribunaux.

2 - la fameuse responsabilité des propriétaires et des gestionnaires des terrains de pratique qui découle d'une recherche de plus en plus systématique des responsables dès qu'il y a un accident, un pépin, le moindre problème. Les maires de communes en France, aujourd'hui, connaissent très bien ce problème.

3 - c'est ce que j'appellerais la menace naturaliste quand elle n'est que naturaliste. Et c'est le rôle grandissant de l'écologie dans notre société, en particulier des gens qui ont une approche de la nature que j'appellerais approche naturaliste par opposition à l'approche que nous prônons, nous les pratiquants, qui est une approche humaniste. Et donc c'est une approche du type « natura 2000 » pour ceux qui connaissent cette directive européenne. On rencontre dans ces milieux des gens dont le rêve est d'éliminer les êtres humains de la nature : les êtres humains en ville, le reste et les animaux dans la nature. C'est aussi une menace pour les pratiquants des activités de pleine nature.

4 - enfin, la quatrième menace est le fait que l'urbanisation, et ce que j'appelle la mercantilisation des activités de pleine nature, font qu'il y a un nombre grandissant de pratiquants avec une tendance au nivellement technique vers le bas. Pour qu'il y ait de plus en plus de pratiquants, de plus en plus d'organismes vont avoir tendance à essayer de facilité l'accès à ces pratiques. On a donc une menace d'ordre touristique (il y a de plus en plus de monde), c'est une menace mondiale avec la recherche du développement de forme de tourisme le moins aventureux possible, mais avec l'étiquette aventure. C'est ce qu'on appelle l'aventure sans risque, qui est un concept paradoxal mais qui a été mis en avant par certains marchands d'aventure. Tout ça tend vers une généralisation de l'équipement qui fait qu'on cherche à adapter le terrain aux pratiques et de moins en moins les pratiques aux terrains.

Pour résumer tout ce que je viens de dire, je dirais que :

- les zones naturelles non aménagées sont aujourd'hui un patrimoine dont la sauvegarde est devenue une nécessité à la fois sociologique et économique,

- cette sauvegarde doit être aujourd'hui initiée et maîtrisée non plus principalement par l'Etat, et c'est ce qui s'est fait jusqu'à maintenant à travers la création de parc, mais par les communes elles-mêmes, par les propriétaires des terrains.

En fait, si on regarde ce qui se passe ici dans la région du Chassezac, je pense que c'est vous ici les habitants de la région qui détenez l'une des clés sans lesquelles les activités de pleine nature sont impossibles. Tout simplement parce que c'est vous qui avez les terrains de pratiques. Sans terrains, il n'y a plus d'activités de pleine nature. C'est vous les propriétaires de ces terrains, donc c'est à vous à faire ce qu'il faut pour que tout le monde puisse exercer librement la pratique de son choix. Et j'insiste sur la pratique sportive ou économique.

Enfin, ce que je souhaite, c'est que ce soit vous qui ayez la maîtrise de la gestion de vos espaces de pratiques, mais que cette gestion des espaces soit une gestion des libertés et de toutes les libertés.

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Jean Paul SALASSE, concilier protection du milieu naturel et activités de pleine nature, gageure ou défi à relever ?

Je suis naturaliste, je voudrais vous faire entendre ma voix, je ne suis pas sûr d'être majoritaire dans mon camp. Je vais quand même dire ce que je pense de ce sujet.

Je voudrais faire deux parties simples :

1 - la première , c'est se placer du point de vue de la nature, si on peut le faire, et c'est un sujet compliqué. On va essayer de voir effectivement si les activités de pleine nature peuvent s'intégrer dans un projet de développement qui concerne des milieux naturels remarquables.

2 - une deuxième partie s'intéressera plus aux pratiquants des activités de pleine nature.

On essaiera de trouver également un petit moment de synthèse.

Il est clair qu'il y a 25 ans, la question ne se posait pas. La nature se vidait de son agriculture, et à la place de cette agriculture sont apparus deux poids lourds de l'aménagement rural qui s'appellent : le chasseur et le forestier. Ils ont fait un tas de choses pendant vingt ans, dans une nature qui leur était disponible sans trop de concurrence.

Dans les années 1970-1980, sont apparus d'autres usagers de l'espace rural, ceux qui continuent la chasse, la pêche, les industries, les carriers et puis une activité de pure contemplation - dont je suis le représentant - c'est-à-dire les naturalistes, les gens qui aiment se promener dans la nature parce qu'ils ont un besoin vital, difficile à définir aussi et puis les gens qui viennent pratiquer des activités sportives.

Cela veut dire qu'aujourd'hui il y a multi usages des espaces, notamment des espaces les plus remarquables, car c'est ceux là que tout le monde convoite de façon prioritaire. La seule solution que je trouve c'est, d'une part de refuser de dire qu'il y en a qui ont tort et d'autres qui ont raison, d'autre part d'essayer de rechercher le consensus. Si chacun fait sa chasse gardée, je trouve que c'est humainement un échec total. Car cela voudrait dire que les choses sont incompatibles. Je préfèrerais essayer de trouver entre ces gens un certain nombre de compromis dont je crois qu'ils sont trouvables dans beaucoup de cas, mais qui ne sont pas trouvés parce qu'ils ne sont pas cherchés. On est chacun détenteur de sa vérité qui est prééminente et on est plutôt souvent devant le fait accompli. On pourrait trouver les lieux qui permettraient de considérer les avis de tout le monde et d'essayer de trouver une solution où chacun y trouve une partie de ses intérêts. Car je crois que le pire qu'il puisse arriver quand on sort d'une discussion, c'est qu'il y en ait qui pensent avoir gagné et d'autres avoir perdu

On peut parler de ces sujets ensemble mais au bon moment. Et c'est vrai que dans le Chassezac, il m'étonne qu'il n'y ait pas eu des gens de bonne volonté pour faire un diagnostic écologique qui aurait pu être mis à contribution du projet du SIVU de façon solide. Je connais des gens capables de faire ce travail et décidés à entrer dans cette logique de partage de développement, dont les données environnementales sont par voie légale d'intérêt national. Quand on protège la nature, c'est parce que l'Etat s'est doté d'un certain nombre d'outils réglementaires d'intérêt général. Il n'y a pas de raison que cela soit oublié.

Pour moi, l'idée c'est de discuter entre les gens de bonne volonté de chacune de ces parties pour savoir quelles sont les choses que les uns et les autres mettent en avant. Cette attitude, qui commence à naître de coopération sous forme de table ronde, de commission paritaire, fonctionne dans un certain nombre de cas, et il n' y a aucune raison pour que cela ne fonctionne pas pour les activités de pleine nature, parce que c'est probablement moins dur que dans d'autres aménagements plus complexes.

La deuxième idée c'est : « parlons des gens ». J'ai personnellement un rôle de pédagogue, je les amène dans la nature et ce qui m'intéresse est de savoir ce qu'ils viennent y faire. Qu'est ce que les gens viennent véritablement chercher dans la nature ? J'ai l'impression qu'ils viennent chercher la pleine nature.

Je pense qu'il y a une attirance pour une aventure de plénitude, c'est-à-dire chercher quelque chose qui contraste avec son quotidien de citadin, difficile, stressant. La pleine nature lui paraît un lieu pour se découvrir lui-même et se confronter à des choses difficiles socialement, culturellement, physiquement et puis se confronter à une vraie nature qu'il ne connaît pas mais qu'il espère découvrir tout en en ayant peur.

Il y a une ambiguïté entre l'envie de la nature et la peur de la nature. C'est un sentiment équivalent. Je crois beaucoup que dans nos concitoyens qui viennent aux activités que vous proposez, il y a cette envie d'aller dans une nature sauvage, pleine, entière, pas très bien balisée mais suffisamment quand même, et puis une grande réticence à s'y jeter.

Dans l'encadrement, l'accompagnement, l'initiation au sein du rite initiatique de la pleine nature, il y a - me semble-t-il - le fantasme de la fusion des gens avec la nature. Il ne s'agit pas de la nature des naturalistes, ni de celle des peintres. La nature plus sensuelle, physique, mécanique, effrayante. C'est-à-dire une nature que l'on désire mais que l'on sait qu'on ne peut pas fusionner avec elle tout seul. Il nous faut des gens, des encadrements, un accompagnement, mais un accompagnement qui incite autant sur le rôle social que sur l'apprentissage des techniques de pratique. (exemple : le canoë).

Il s'agit de proposer à l'individu de vivre son fantasme, de se plonger dedans en lui offrant un maximum de garanties mais en conservant un esprit d'aventure. Mais l'esprit d'aventure consiste autant à se retrouver soi-même, autant qu'à regarder le paysage, autant qu'à une activité de groupe.

La motivation des gens me semble complexe. Il me semble qu'il y a beaucoup à faire sur le côté pédagogique de ce phénomène. Que viennent chercher les gens et qu'est ce que je peux offrir à la fois comme encadrement mais aussi comme aménagement d'un lieu ?

Dans l'activité de pleine nature, il y a l'idée que la nature est belle, synonyme de beauté. Cela oblige que les sites de pleine nature soient, au niveau de la qualité physique et impressionniste de la nature, absolument impeccables. Cela veut dire que cette nature - si on a la permission d'y passer deux heures, deux jours, deux semaines - il faut que l'on puisse en repartir sans qu'elle nous en veuille, sans qu'on puisse y déceler notre passage. Si on permet à des gens d'aller dans la pleine nature, c'est que quand ils repartent plus sereins que quand ils sont venus, ils n'y aient pas le sentiment d'avoir saccager l'objet dont on rêvait avant.

Pour moi l'activité de pleine nature, c'est très différent d'un stade, au moins dans la psychologie des gens qui viennent pratiquer ces activités. Dans un stade, c'est là que l'on peut se confronter physiquement, mécaniquement à soi même. La pleine nature c'est beaucoup d'autres choses que l'on n'a pas besoin d'expliquer mais de mettre à disposition et ce quelque chose doit être sublime, et ce quelque chose ne doit pas être abîmé par le fait que j'ai eu à un moment le droit d'y pratiquer mon activité. Je crois que dans la psychologie des gens qui sont attirés par la pleine nature, il y a la volonté implicite, très peu formalisée d'aller dans une nature le plus possible conforme à mon rêve (sauvage, effrayant).

Ce que je peux dire, c'est que la nature dans les activités de pleine nature ce n'est pas le support. La nature n'est pas le support des activités de pleine nature. Pour moi c'est l'objet, ce que l'on veut atteindre, c'est la nature.

Les clients, puisque c'est un marché, veulent la nature et recherchent la fusion avec le paysage. Donc pour moi, la nature c'est l'objet de l'activité, ce n'est pas le cadre, ni le décor, ni son support. Cette envie d'aller vers la nature. Le contact physique, émotionnel, sensoriel est probablement la base de tout. C'est pourquoi les activités de pleine nature sont pédagogiquement une chose admirable. On est dans le vif du sujet.

J'insiste pour dire que la nature est vraiment l'objet du désir des gens dans toute sa plénitude. La nature étant aussi soi-même : son corps, sa mécanique, sa digestion. Il me semble que le sujet est fort compliqué et on a essayé d'y réfléchir en essayant d'associer des gens qui font de l'éducation à l'environnement comme moi et des gens qui font de la pleine nature. On a signé récemment une "Charte de l'éco plein air", c'est-à-dire une sorte d'engagement, une charte de qualité entre des gens qui encadrent les activités de pleine nature et qui s'engagent à essayer de marier subtilement l'objet et le sujet, c'est-à-dire la nature et les gens, la pratique et le rêve, les relations entre le désir du public et ce que nous, les organisateurs de l'offre touristique, sommes capables de déceler ce qu'il y a comme enjeux culturels, sociaux, de développement, d'aménagement et comme enjeux d'éducation.

Parce que la moindre des choses, c'est que les gens qui viennent repartent un peu plus « malin » que quand ils sont venus. Et pour tout ça, il faut réfléchir longtemps.

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